White Night, notre interview de Ronan Coiffec et Mathieu Frémont (OSome Studio)

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C’est lors de la Game Connection Europe 2013 qui s’est tenue à Paris du 3 au 5 décembre dernier que nous avons pu nous entretenir avec Ronan Coiffec et Mathieu Frémont, respectivement Creative Director et Production Director du tout jeune studio OSome. L’occasion pour nous d’en apprendre plus sur ces développeurs lyonnais et leur premier projet, White Night, doublement primé aux Selected Projects 2013.

Bonjour messieurs, pouvez-vous nous présenter OSome Studio, son équipe et l’histoire du studio ?

Ronan : Donc, on est trois, on a monté le studio en début d’année, Mathieu, Domenico et moi. On s’est rencontrés chez Eden Games à l’époque sur Alone in the Dark 5. Ca fait à peu près 10 ans qu’on bosse dans le jeu vidéo. On a bossé sur Alone in the Dark, Test Drive, Remember Me, sur les Lapins Crétins chez Ubi, donc on a bougé un peu partout. On a créé notre propre technologie. Mathieu et Dome, les deux programmeurs travaillent sur leur propre technologie depuis un bon moment. Sur ces acquis-là : de l’expérience et la technologie, on s’est dit qu’on allait monter un jeu à nous, un petit jeu, histoire de valider la technologie et de faire ce que l’on a envie de faire.

Mathieu : Y’avait aussi le facteur déclenchant que toutes les boites de jeux vidéo tombent une par une, dont Eden Games, où on travaillait Dome et moi au moment où ça a fermé. C’est vrai que c’était un élément déclencheur parce que ce projet on en parle depuis un an, un an et demi, on a fait des petites crobards en noir et blanc et là le fait que la boite ferme c’est bien parce que quand on est au chômage en France pour monter une boite ça donne de gros gros coups de pouce.

Ronan : Moi j’étais chez DontNod, j’étais sur leur nouveau projet. J’ai dû faire le choix un peu difficile de monter mon propre truc avec Mathieu et Dome donc c’était un peu différent, mais bon, je pense qu’à la base on avait juste envie de faire des choses ensemble. A on bossait ensemble dans le délire de faire des prototypes, etc. On avait déjà cette fibre de vouloir faire des trucs ensemble. Et puis surtout chez Eden à l’époque j’avais été mis sur le prototype du remake d’Alone in the Dark 1 qui devait sortir en même temps qu’Alone in the Dark 5 pour profiter un peu de la hype autour sauf que comme Alone 5 n’a pas marché, Atari a tout killé et on était très frustrés de pas avoir continué surtout que le proto était vachement bien. Et du coup, White Night qui s’inspire pas mal d’Alone in the Dark 1, c’est vraiment un hommage, ça nous permet de retrouver un peu ce qu’on voulait faire à l’époque, tous ensemble.

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Et donc vous préparez actuellement votre premier jeu, un survival-horror directement inspiré d’Alone in the Dark et des films d’Hitchcock, Lynch et Polanski. Pouvons-nous en savoir plus sur le scénario ?

Ronan : Alors pour pitcher un peu, au début de l’histoire, on découvre un personnage sur un parking au début des années 30, dans un univers un peu film noir, jazzy tout ça. Il prend tout simplement sa voiture, il roule et a un accident en évitant de justesse une femme qui traverse la route. Il se réveille dans le fossé, contre un arbre, blessé et sa seule possibilité c’est d’aller demander de l’aide dans un manoir qui se trouve juste à côté. L’idée de base c’était comme dans Alone 1 de créer une histoire qui se passe dans un manoir donc on reprend les codes un peu classiques et clichés du genre, mais on les retravaille. Par exemple, dans Alone 1 on commençait dans le grenier, ici on commence à l’extérieur du manoir. C’est le joueur qui va devoir entrer, se faire enfermer dedans et qui va découvrir tous les secrets et l’histoire qui se trame derrière tout ça. Il va découvrir à qui appartient le manoir, qu’est-ce qui se passe là-dedans, quelles sont toutes ces tombes dans le jardin ,et qui est la femme qu’il a failli écraser sur la route…

Le jeu est réalisé entièrement en noir et blanc alors que la plupart des survival-horror jouent sur les couleurs et le sang. Comment s’assurer que cette volonté esthétique ne soit pas un frein pour le joueur et son immersion ?

Ronan : Ca a été une énorme question qu’on a eue dès le départ parce que le noir et blanc peut apporter des défauts de lisibilité et de contrôles. Après quelques tests, on a apporté quelques petites idées comme l’outline qui va détourer un peu les objets et faire ressortir les objets même dans le noir. Sachant qu’on a des lieux complètement dans le noir, dès qu’on a un peu de lumière on souligne un peu les éléments dans le noir pour créer une lisibilité concrète du décor. Grâce à ça, on peut s’assurer que le joueur sache toujours où il est.

Mathieu : C’est vrai que les premiers protos étaient en pur noir et blanc comme le court-métrage « Peur du Noir » qui nous a inspirés, mais un court-métrage c’est fixe alors que là on voulait quand même pouvoir voir et interagir avec les objets, on a donc rajouté l’outline et aussi des post-effects, du fog, si l’on regarde ce n’est pas purement noir et blanc.

Ronan : Y’a un petit peu de sépia, on va jouer sur les teintes colorées pour apporter un peu de chaleur à l’image, pour ne pas avoir un côté trop austère dans le jeu. Donc on rajoute des petites touches de couleur, mais surtout l’idée de base, avant la direction artistique c’était de créer quelque chose qui soit complètement en accord avec le gameplay. L’idée c’était qu’il ne faut pas aller dans le noir, il faut créer de la lumière pour avancer. La direction artistique est donc arrivée presque toute seule. L’idée c’est vraiment de bosser en symbiose gameplay et DA. Tous les puzzles vont être liés aux ombres, à la lumière, c’est vraiment la volonté de base.

Vous avez décrit les puzzles comme exploitant l’ombre et la lumière, partie intégrante du jeu. Pouvons-nous avoir un exemple de ce qui attendra le joueur dans White Night ?

Ronan : On a à peu près trois types de puzzles. Le premier type est ce qu’on appelle les puzzles contextuels, par exemple on a des objets qui sont cachés dans le noir et tant qu’on n’a pas révélé la lumière à cet endroit-là. Donc le but principal sera de trouver une source de lumière pour pouvoir éclairer ce qu’il y a dans le noir : pousser un objet pour que l’ombre se décale, trouver un interrupteur dans la pièce pour allumer un lustre, pousser une armoire parce que l’interrupteur est derrière, etc. Ce sont donc des puzzles très contextuels liés au décor. Les seconds types de puzzles sont ceux liés aux Dark Entities. Dans le noir on a des monstres très suggérés qui eux ont peur de la lumière. La particularité de ces monstres est qu’ils peuvent bouger, se déplacer, vous poursuivre et apparaître devant vous, toujours en se promenant dans le noir. L’idée c’est d’utiliser encore la lumière pour les repousser, les tuer ou essayer de deviner où ils sont. Par exemple, si on approche une allumette d’une zone sombre et que l’allumette vacille, c’est qu’il y a un monstre à quelques mètres. Dans ce cas, si j’y vais, c’est à mes risques et périls, dans la plupart des cas, l’allumette se fait souffler et je me fais bouffer.

L’idée c’est donc d’utiliser tous ces feedbacks pour comprendre un peu le puzzle et du coup comment faire pour progresser : ouvrir un volet, tourner un miroir pour jouer sur les reflets, etc. Le troisième type de challenges est un peu plus mystique. Il faudra jouer avec des anamorphoses et créer des formes avec les ombres. Typiquement, y’a un symbole mystique bizarre sur un tableau sur un mur, on va devoir pousser une ombre dans un sens ou dans l’autre pour former un symbole bizarre. Le mur va se déplacer et ouvrir un passage secret, etc. Chaque type de puzzle apporte son rythme particulier, par exemple chercher une clé favorise l’exploration. Réagir face à une Dark Entity va demander parfois des réflexes, par exemple on va être dans une zone remplie de monstres et y’a un lustre suspendu qui vacille et qui crée un cercle de lumière sur le sol. Il va falloir suivre la trajectoire du spot pour éviter de se faire tuer. Donc on a aussi l’agilité qui entre en compte. Ces phases sont forcément un peu plus nerveuses et sont nécessaires pour créer un petit peu plus de tension dans le jeu. Dans le troisième type de puzzle, on essaye de jouer sur la lisibilité du décor et sur la réflexion.

C’est le violoncelliste Zachary Miskin qui est en charge de la bande originale du jeu. Comment l’avez-vous rencontré et quelle a été sa réaction lorsque vous lui avez proposé de travailler avec vous ?

Ronan : C’est un compositeur qui avait entre autres travaillé avec notre sound designer sur des Documentaires. Le sound designer avec qui je travaillais déjà sur le projet me l’a présenté parce que c’est un gars qui joue vraiment du violoncelle un peu comme Bernard Herrmann qui nous évoquait beaucoup de choses en référence à Hitchcock. On a donc discuté et il se trouve qu’il voulait s’essayer au jeu vidéo dans quelque chose de très artistique, très sonore, très poussé. On l’a rencontré, il était tout de suite d’accord et à partir de là on a commencé à faire des réunions et je lui ai présenté des concepts-arts, il faisait des essais dessus et il a été très motivé pour composer toutes les musiques du jeu, il a même écrit un thème avec une chanteuse, etc.

Mathieu : Il a été aussi assez motivé par ce qu’offrait le jeu vidéo parce qu’il a plutôt travaillé dans le cinéma avant et on a travaillé avec lui pour qu’il fasse plusieurs couches de son qui vont s’accorder ensemble et qu’on va mixer un petit peu en fonction des niveaux de menace dans le jeu et c’était quelque chose d’assez nouveau pour lui, l’interactivité l’intéressait du point de vue musical.

Ronan : C’est pareil avec le sound designer, ils ont mis en place un système, une technique avec Mathieu et Dome qui permet de jouer des couches de son en fonction de ce qui se passe et tous les feedbacks liés aux apparitions de monstres, les choses comme ça. Plus il y a de monstres, plus effectivement il y a de couches de musique qui vont se jouer, les rythmes vont changer, il y a vraiment une interactivité sonore très poussée et c’est quelque chose qui l’a poussé à travailler avec nous et il a même en quelque sorte apporté son point de vue sur le jeu.

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Votre méthode de production diffère de la plupart des productions indépendantes, se basant sur une core-team très réduite, un moteur maison et un gros travail d’outsourcing. Quels sont ses avantages et comment s’assurer de la qualité globale des assets et du produit final ?

Ronan : Il se trouve qu’on a beaucoup d’expérience dans les AAA, on a bossé depuis 10 ans sur des gros projets, du coup l’une des choses qu’on a apprises c’est qu’il y a beaucoup de gaspillage entre guillemets du point de vue de la production puisque dans un gros projet, tous les profils sont globalement engagés en début de prod alors qu’en réalité ils ne sont pas forcément nécessaires tout de suite. Le milieu du jeu vidéo évolue, murit on pense aussi. Et comme on a beaucoup de contacts dans le cinéma et le théâtre on a vu un peu comment ils fonctionnaient et on a décidé de s’inspirer de leurs techniques qui permettent réellement d’avoir un budget plus faible. C’est-à-dire que la core team, nous trois, on imagine le projet, on l’écrit complètement. A partir de là, on commence à contacter les personnes qui vont bosser dessus. L’avantage d’avoir de l’expérience c’est qu’on connait des gens hypertalentueux, que ce soient les sound designers, les animateurs qui ont bossé chez Quantic, chez Ubisoft, chez DontNod.

Du coup on avait tous ces contacts sous la main et c’était très simple de lancer une équipe d’indépendants sur tous les domaines nécessaires. Le fait de les utiliser au moment opportun nous permet de réduire les coûts. De notre côté, ça nous oblige à être très rigoureux sur l’écriture du jeu. C’est-à-dire qu’on n’a pas un budget infini, on ne peut pas les appeler et leur demander de refaire 30 fois le même travail. Il faut qu’on s’assure que le contenu soit bien écrit, bien analysé avant de lancer par exemple la motion-capture. On a eu une chance pour faire de la motion-capture, on a eu deux jours chez Quantic Dream, pas plus de budget du coup on s’est forcé à écrire tout le jeu. On a fait toutes les animations, maintenant on ne peut pas revenir en arrière. Pour nous c’est une forme de maturité de production qu’il faut assumer, et de l’économie dans les budgets.

Courant juillet, vous avez pu profiter des infrastructures de mocap de Quantic Dream pour enregistrer une multitude d’animations. Etait-ce voulu dès le départ du projet ou cela s’est-il fait sur un coup de chance ?

Ronan : On voulait faire de la motion-capture à la base. D’un point de vue délais, on n’a pas pu tout faire. Comme vous le savez, on voulait faire un jeu très narratif et on n’a pas eu les moyens d’engager une équipe d’animateurs pour tout faire en keyframe. On a pu faire des tests dans un autre studio, celui de Yanim pour voir si la mocap nous intéressait du point de vue technologique et du rendu, c’était le cas. A partir de la on a encore eu un coup de chance c’est que Beyond venait de finir leur travail de motion-capture, leurs studios étaient donc libres et ils avaient de nouveaux outils a essayer donc ils ont été très cool là-dessus, on a rencontré Guillaume de la Fondaumière qui nous a demandé simplement ce qu’on voulait faire et puis on a eu deux jours. C’est pas énorme pour faire de la motion-capture, mais pour nous c’était très bien.

Mathieu : On est tombés vraiment sur une semaine ou ils avaient quelques jours de libres et on s’est adaptés parce que c’était vraiment une super opportunité et on a donc pu profiter, je pense, des meilleures infrastructures en France, c’est sûr. Pour ce qui est juste des animations, par rapport au jeu, on voulait faire de la mocap parce que notre titre est épuré. On ne peut pas dire qu’il y ait un travail de textures par exemple ou de normal maps qui nous ait écroulé même s’il y a quand même un travail artistique là-dessus. Donc on avait quand même prévu de mettre du budget dans les anims parce que faut que ça ait l’air réel.

Ronan : Comme on travaille sur des plans fixes et même si les caméras bougent un petit peu, y’a des travelings, des choses comme ça, les choses qui bougent à l’écran sont les personnages donc la motion-capture permet d’apporter des micromouvements, des jeux d’acteur comme par exemple quand on marche le perso boite, il tombe un peu, il se récupère, apporter ce feeling réaliste et surtout vivant, à moindre cout au final.

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Vous étiez présents cette semaine à la Game Connection Europe pour faire découvrir White Night dans le cadre des Selected Projects. A votre grande surprise, vous avez remporté le prix du jeu Console & PC Hardcore. Comment vous sentez-vous ?

Ronan : Comment on se sent ? Surpris et surtout très contents. Surpris par le deuxième prix, car on ne savait pas qu’il existait et très contents parce que c’est quand même risqué de faire un jeu indépendant aujourd’hui avec peu de moyens, mais des ambitions inspirées du AAA, pouvoir faire de la motion-capture, avoir un compositeur et surtout un rendu très particulier. Ça peut être casse-gueule et aujourd’hui ça nous valide un peu toutes ces étapes-là, on sait que notre rendu peut attirer, on sait que nos mécaniques peuvent accrocher du monde donc ça nous rassure sur la suite.

Pour en savoir plus sur White Night, rendez-vous sur le site officiel du jeu.

BiLLOU95, Rédacteur en chef

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