e-virtuoses 2013, notre interview de Chris Crawford

e-virtuoses-2013-42

Il y a un peu plus d’un mois, nous avons pu assister au salon e-virtuoses 2013 qui rassemble depuis de nombreuses années les professionnels du Serious Game. Au programme, présentation des nouveautés dans le secteur, discussions, conférences… mais également les e-virtuoses Awards qui récompensent les meilleurs Serious Games dans les catégories Formation, Communication/Sensibilisation, Santé, Gamification et Serious Gaming. Et pour présider le jury cette année, les e-virtuoses ont fait appel à une véritable légende game design, Chris Crawford. Ce nom ne vous dit peut-être pas grand-chose et pourtant, le monsieur est le fondateur de la GDC et a également fait ses armes sur différents jeux dans les années 80 avant d’écrire le célèbre The Art of Computer Game Design. Nous n’avons pas résisté à l’envie de lui poser quelques questions sur son métier, le Serious Game et son implication dans les e-virtuoses. Ses réponses ci-dessous.

Bonjour Chris, pourriez-vous vous présenter brièvement pour ceux qui ne vous connaissent pas ?

J’ai vendu mon premier jeu en 1978. Je me suis occupé de la recherche en jeux vidéo chez Atari au début des années 80. J’ai publié 14 jeux vidéo et cinq livres traitant du game design. J’ai lancé la Game Developers Conference et aujourd’hui je travaille sur de la narration interactive.

Vous étiez invité en tant que président du jury des e-virtuoses Awards 2013 cette année, comment avez-vous réagi face à cette proposition ?

Ma première réaction a été de me dire que je n’étais peut-être pas la personne la plus qualifiée pour ce poste. Mais une fois que j’ai commencé à travailler sur le projet, j’ai réalisé que la plus grande partie de mon travail allait être d’aider les autres membres du jury à délibérer dans de bonnes conditions. Finalement ce n’était pas très difficile, car les membres du jury sont tous des experts dans leur domaine.

Comment définiriez-vous le terme Serious Game ?

Il y a de nombreuses terminologies pour le concept de Serious Game : jeux éducatifs, simulations, edutainment. Ce qu’elles ont toutes en commun est la notion de combinaisons d’interactivité, de fun et d’apprentissage.

e-virtuoses-2013-48

En ayant un regard de Game Designer dans l’industrie du jeu vidéo traditionnel, comment juger de la qualité d’un Serious Game ?

J’ai fondé mon analyse presque entièrement sur l’interactivité du jeu. Est-ce que le contenu du jeu se fond dans l’interactivité elle-même, ou est-ce que le jeu pousse son contenu en vidéo et ajoute juste de l’interactivité en tant que décoration ? Il y a beaucoup de jeux pour lesquels l’interactivité n’est pas en soi éducative. Ces jeux sont, de mon point de vue, des échecs. C’est très difficile de créer des jeux dans lesquels l’interactivité détient le contenu, car le design, le processus de conception doit comprendre comment FONCTIONNE le contenu, pas simplement ce qu’il EST.

Lors de votre keynote d’ouverture du salon e-virtuoses 2013, vous avez adressé un message fort aux jeunes développeurs présents dans la salle. Pouvez-vous nous parler de votre vision de la communication homme-machine ?

Il est très semblable à une conversation et en fait les meilleures interactions entre les humains et les ordinateurs ont un flux et un contenu réel comme dans une bonne conversation. Chacun y contribue en donnant ses idées. L’ordinateur apporte ses « idées algorithmiques » et l’humain ses « idées humaines ». Mais pour bien faire, l’ordinateur doit écouter au mieux l’humain, doit réfléchir à l’aide de puissants algorithmes et doit répondre correctement avec des graphismes, du son et des animations.

Vous parliez également d’un problème majeur dans la production depuis de nombreuses années lié à une scission entre les métiers de développeurs et designers. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Je suppose que vous parlez de la différence entre les programmeurs et les artistes. Oui, les programmeurs et les artistes pensent très différemment, et pourtant les talents des uns et des autres doivent être intégrés dans la création d’un bon produit interactif. Ceci est souvent accompli par une équipe composée de programmeurs et d’artistes, mais ces équipes ne fonctionnent pas en adéquation, parce qu’elles pensent ENCORE différemment. La seule solution pour que cela marche est de combiner les deux styles de pensée à l’intérieur d’un seul esprit. Il n’y a pas de raisons pour que cela soit difficile à accomplir, mais notre culture l’a souligné spécifiquement au point que certaines personnes ne peuvent imaginer comment cela pourrait se faire autrement. Pourtant je connais des gens qui y arrivent très facilement. J’ajouterai que les Européens ont un gros avantage sur les Américains à cet égard, car ils conservent un fort sentiment de respect pour l’art.

e-virtuoses-2013-43

Le Serious Game est un média encore jeune. Alors qu’une nouvelle génération de gens qui sont nés et ont grandi avec le jeu vidéo arrive dans la vie active, le Serious Game va indubitablement devoir s’adapter. Peut-on faire des prédictions sur son futur et sur son évolution ? Quel est votre avis sur le sujet ?

Nous sommes encore dans une phase primitive, car seulement quelques designers comprennent vraiment la base algorithmique de l’interactivité. Un bon concepteur pense en termes de comment les choses fonctionnent, et non pas ce qu’elles sont. Lorsque vous regardez un arbre, vous voyez les feuilles, l’écorce, les branches et le tronc ? Où voyez-vous la photosynthèse, l’absorption de l’eau et des minéraux par les racines, le débit de ce fluide à travers le cambium dans les feuilles et les réactions biochimiques qui ont lieu dans les cellules de l’arbre ? Plus important encore, pouvez-vous imaginer des équations mathématiques simples qui peuvent décrire ces processus ? C’est ainsi que le concepteur d’un Serious Game doit penser.

Aux côtés de catégories très spécialisées, des jeunes étudiants ont pu concourir dans la catégorie Serious Game en détournant des jeux vidéo comme LittleBigPlanet 2, Skyrim ou encore Civilization 5. Est-on vraiment en présence de Serious Game ou cela reste t’il avant tout du modding ?

Je pense que ce sont de bons exercices pour les étudiants débutants. Nous devons tous commencer quelque part, et la conception d’un jeu à partir de zéro est une tâche énorme. Un bon concepteur doit construire des centaines de modèles dans le but d’apprendre. Si chacune de ces tâches de design prend plusieurs années à construire, le concepteur n’aura pas beaucoup d’expérience.

Si vous aviez un dernier message à faire passer aux jeunes qui souhaiteraient se lancer dans le développement de jeu vidéo, lequel serait-il ?

Ne faites pas ça pour l’argent ; créer des jeux est aujourd’hui comme devenir un acteur : vous devez étudier très dur et vous devez avoir la chance de trouver un bon travail. Au lieu de cela, faites-le pour le plaisir. Créez des jeux dans votre coin. Ou rejoignez un groupe d’autres débutants et construisez un jeu ensemble. Faites quelques jeux simples, évidents, mais laissez ensuite le chemin parcouru derrière vous. Réalisez des trucs vraiment étranges ! Vous ne progresserez jamais si vous ne faites que de légères variations sur les mêmes vieux jeux. Vous devez absolument essayer des choses que personne n’a jamais faites auparavant. Bonne chance !

Merci beaucoup pour toutes ces réponses.

Crédits photos : e-virtuoses.

BiLLOU95, Rédacteur en chef

Laisser un commentaire

Ce site ne sera plus mis à jour à partir du 30 septembre 2014. Plus d'informations